jeudi 16 septembre 2010

Ecouter La Passion du Crucifix

La Passion du Crucifix est une pièce de théâtre écrite par Jeyhem et montée par... Bah moi en fait.






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LA PASSION DU CRUCIFIX

Personnages:
Une âme
Un corps
Un crucifix
Une inconnue

I/ La chanson de l'au-delà

Dans une petite pièce éclairée à la bougie,
sur un piano désaccordé, repose une bière monotone.
Lorsque les premières mesures du tintamarre
paroissial retentissent , une âme puis un corps
surgissent des profondeurs glaciales des coulisses.

L'âme (désignant la bière) :
Voici donc notre future demeure, mon cher ami.
Il faut avouer qu'elle ne manque pas de rusticité!

Le corps (marmonnant dans sa barbe) :
Ah, l'australopithèque dans le ciel avec ses diamants!

L'âme:
Plaît-il?

Le corps (reprenant ses esprits):
Ne me prêtez pas tant d'attention,
je ne fais qu'échauffer ma voix!
Il faut dire que vous ne pouvez comprendre
toutes ces mondanités matérielles!

L'âme:
Il est vrai que ma faculté se limite à penser.

Le corps:
Exactement!

L'âme:
Et que vous êtes de toute évidence
de nous deux le plus palpable.

Le corps:
Ah, mon talent enfin reconnu!

L'âme:
Aussi je doute que vous vous laissiez
impressionner par ce vulgaire récipient empaillé
à l'aide de trois cent soixante cinq becs d'autruches
et que vous y prendrez place comme il se doit
selon la loi divine du néant, notre Seigneur.

Apparait crucifix, épouvanté:

Crucifix:
Sacrilège!

L'âme:
Quoi?

Crucifix:
Mon ouïe percée de clous n'en est pas sourde pour autant!
Et j'entends toujours les élucubrations des âmes
qui, attendant leur passeport pour l'ultime voyage,
osent encore bafouer la perfection du créationnisme!

Le corps (marmonnant de nouveau dans sa barbe) :
Ah, l'australopithèque dans le ciel avec ses diamants!

Crucifix (pâle et tremblant) :
Qu'a-t-il dit?

L'âme:
Il s'essaie au chant.

Le corps (chantant) :
"Ah bienheureux est le saint homme
qui naquit du sein d'une vierge...

Crucifix (rassuré et à voix basse) :
Ouf, ce corps n'est donc pas aussi noir que son âme!

Le corps (continuant sa chanson) :
...car il vécut des joies de Sodome
et de l'encens bénit de sa verge"

Crucifix meurt sur le coup, victime d'un arrêt cardiaque

II/ A vos souvenirs!

L'âme :
J'ignorais que ces bagatelles de cantates
eussent un jour une quelconque utilité.

Le corps :
C'est qu'une fois de plus ce que l'âme s'acharne à résoudre,
le corps lui le surmonte sans peine...

L'âme :
Je plussoie cher ami, je plussoie: je suis un couard.
C'est pourquoi je suis certain que dans votre élan de courage
vous vous proposerez d'affronter seul l'épique odyssée
qui vous attend au fond de cette boîte unijambiste.

Le corps (désignant la bière) :
Et pourquoi n'y mettrions-nous pas crucifix?
Après tout il n'est pas nécessaire que l'un d'entre nous y séjourne!
Donnons à la mort ce qu'elle souhaite et offrons-lui un messie!

L'âme :
Ma foi quelle brillante idée! Vous m'épatez mon cher!
Je vois que toutes ces années de cohabitation n'ont pas été vaines:
vous voilà devenu un parfait spécimen d'eruditus corpus!

Les deux compères se penchent sur l'anatomie inerte de crucifix,
et avec une marche solennelle digne de la plus grande représentation théâtrale,
portent avec mépris la chair de celui qui vient d'abandonner le monde pour la deuxième fois. Après l'avoir déposé perpendiculairement au sarcophage sur le piano,
le corps retire une à une les vis du couvercle tandis que l'âme collectionne les clous du défunt crucifié. Une fois le travail du corps achevé, le couvercle est expulsé brutalement et une inconnue en sort à la surprise de l'âme qui sursaute et jette les clous.  

L'inconnue (hystérique) :
Ah, je vous retrouve enfin, misérables molécules!
Maudits bains de tripes ensanglantées!
Charognes nauséabondes, pitoyables atomes!
Singes lourdauds, polichinelles, guignols manchots!

Le corps (à l'âme) :
On peut dire qu'elle sait se mouvoir!
Et elle semble être dotée d'une grande éloquence: je ne comprends pas un mot!

L'âme (au corps) :
C'est que son venin buccal est aussi clair qu'une avenue de klaxons!
Faisons silence, observons, et attendons que la tempête passe.

III/L'amazone

Suite à l'exécution d'une série de pitreries ambulantes,
l'inconnue perd connaissance à la vue du blême prophète.
Le duo philosophe, émerveillé par cette extravagante prestation
applaudit avec une gigantesque effervescence podologique.

Le corps:
Cette portion de culture m'a donnée faim!
Quand est-ce qu'on bouffe?

L'âme:
Espèce de gros glouton herbivore!
Même après que les ténèbres embuées t'aient dépecées
jusqu'à la moelle, tu continues de me briser les pensées?

Le corps:
Pour ce qu'il y a à briser...

L'âme:
C'en est trop! Je vais prendre l'air!

L'âme ramasse soigneusement les clous éparpillés sur le sol puis, tout en sifflant un air fanfaron, quitte la scène et disparaît dans les abîmes des coulisses.

Le corps (s'adressant au public):
Oh ne vous en faîtes pas, il reviendra.
C'est que ça a ses manies une âme vous savez.
Tenez, c'est comme une jeune amazone:
d'abord ça se moque de ses membres, ça se les ampute,
et puis un jour ça a des regrets,
ça voudrait rayer ses serments à coups de blanco,
et puis ça n'a pas le temps de se repentir que c'est déjà fini.
Oui c'est ça : fini.
Comme ces trois lettres gravées sur le marbre noir à la fin des films dalmatiens,
comme ces deux syllabes que l'on s'empressait d'aboyer à la radio, un soir,
lorsque les généraux patriotes avaient enfin décidé de mettre un terme à leur infâme partie d'échecs.
Finalement il a peut-être raison, vaut mieux être un couard qu'une jeune amazone...

Silence

Une voix : 
C'est très beau mon choux, continue.

Le corps se retourne, étonné, et aperçoit l'inconnue qui s'est assise sur le clavier scellé du piano dans une position à la fois sensuelle et mélancolique.

Le corps :
Qui es-tu donc?

L'inconnue:
Tu ne me reconnais donc pas?

Le corps:
Ma mémoire est mauvaise...

L'inconnue:
Rustre! Filou!
C'est justement elle qui se tient devant toi en ce moment même!
Celle que tu as jetée, de complicité avec ton âme bohémienne, en pâture au plancton!
Aujourd'hui regarde-la! Elle n'est plus qu'une triste méduse échouée sur un instrument délabré! Et tu as l'impudence de lui rétorquer qu'elle est mauvaise!

Le corps:
Je n'ai pas ce souvenir là...

La mémoire:
Je te reconnais bien là, lâche que tu es!

Le corps:
La terre matrimoniale de Perséphone m'a ôtée jusqu'au sable humide de mon passé.
Je ne suis plus que le rude ciment d'un monument amnésique...

La mémoire:
Et tu vas même jusqu'à te plaindre!

Le corps:
L'individualisme est monnaie courante dans l'empire du Tartare...

La mémoire (s'approchant du corps avec une allure changeante):
Oh tu n'as donc pas changé, mon féroce dompteur...
(formant des boucles dans ses cheveux)
Que dirais-tu d'un bon massage nostalgique?
J'ai très envie de savoir ce que les trois ciseaux ont réellement daigné te laisser...

La mémoire et le corps s'en vont , main dans la main.
Avant de filer à l'angle aisé , ils s'embrassent.

IV/La renaissance

Réapparaît l'âme sur la scène, nonchalant et jonglant avec ses clous.

L'âme (constatant l'absence du corps et de l'inconnue) :
Ah ben ça, il ne cessera jamais de me surprendre celui-là!
Je parierais qu'il a voulu me démontrer ma bassesse en réalisant "le tour du cercueil en 80 jours".
Un exploit original je ne vous le fais pas dire!
Il ne me reste donc plus qu'à jongler et à être patient...

Une voix:
Tu pourrais me redonner mes clous pour commencer, espèce de vieux traversin poisseux!

L'âme (avant de se retourner):
Tiens tiens mais ne seraient-ce pas les beuglements de notre cher crucifix?
(après s'être retourné)
Mais si! C'est fantastique, tu viens de me donner la preuve que la résurrection existe!

Crucifix:
Je vous avais pourtant prévenus! Tu iras en enfer, âme souillée!

L'âme:
Mais oui mais oui ne t'en fais pas nous avons le temps pour ces choses.
Dis-moi, si tu es immortel, je peux donc te clouer sans crainte une deuxième fois n'est-ce pas?

Crucifix:
Mais tu es fou en plus! A moi papa!

L'âme se saisit de crucifix et, tout en fredonnant une messe funèbre, recloue à sa croix celui qui n'aurait jamais dû en descendre.

L'âme (s'adressant aux cieux) :
La vie n'est qu'un long phénix déplumé n'est-ce pas mon cher père?

Crucifix (avec une voix torturée):
Tu brûleras éternellement dans un chaudron d'airain!

L'âme:
Bien sûr, ce temps viendra, mais en attendant je jouerai à dix mille parties d'osselets avec tes trois clous!

Le rideau tombe tandis que l'on continue à entendre les plaintes de crucifix et les rires de l'âme.

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